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CRIMES ET CHÂTIMENTS

Albert Einstein disait : « Le monde est dangereux à vivre non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. » Ce à quoi Desmond Tutu ajoute : « Si tu es neutre en situation d’injustice, c’est que tu as choisi le camp de l’oppresseur. » Pour la classe dirigeante française, en ce 21è siècle,  la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Citoyen est reléguée dans les poubelles de l’Histoire. Les intérêts de la France sont mieux sauvegardés lorsque les peuples anciennement colonisés sont opprimés voire décimés. A quoi servent les repentances peu ou prou sincères des chefs d’Etat de la France, si en Afrique francophone les caciques de la Françafrique sont prêts à sacrifier le bien-être des peuples majoritaires au profit des intérêts d’une minorité de puissants ? 

Le 27 mai dernier au Mémorial de Kigali (Rwanda), vingt-sept ans après le génocide de 1994,  le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, déclarait : « Je viens reconnaître nos responsabilités » dans le génocide des Tutsi. « La France a un rôle, une histoire et une responsabilité politique au Rwanda… Elle est restée de fait aux côtés d’un régime génocidaire…, mais n’a pas été complice. » 

Le président Emmanuel Macron avait déjà reconnu, le 23 mars 2021, que la France avait une « dette envers la Libye et les Libyens ».  Un mea culpa au nom de la France, et surtout au nom de Nicolas Sarkozy qui a concocté au cours de son règne à l’Elysée, le complot anti-Kadhafi du siècle, renversant le guide de la Jamahiriya libyenne, et plongeant la Libye dans un chaos indescriptible. Trois jours après cette « reconnaissance de dette » envers la Libye, le 26 mars, une commission d’historiens rendait un rapport après deux années de recherche dans les archives. Le rapport (1200 pages) est sans appel ; il pointe du doigt les « responsabilités lourdes et accablantes de la France » dans le déroulement du drame rwandais. En revanche, le rapport écarte l’idée d’une « complicité » collective française. Pourtant, Paris avait fourni des efforts militaires en envoyant des armes, des hommes (700) en plus des instructeurs militaires, pour former les cadres de l’armée rwandaise. Gouverner c’est prévoir, dit-on. François Mitterrand s’était dédouané après les massacres : « Avant l’attentat, on ne m’avait pas signalé de drames particuliers interethniques. » Trois mois auparavant un missile contre l’avion du chef de l’Etat rwandais, Juvénal Habyarimana, avait sonné le signal pour le massacre des Tutsis et des Hutus modérés ; bilan produit par l’ONU : 800.000 morts. Le rapport Duclert insiste sur le rôle de l’Elysée  dans ce dossier. 

Les crimes de la Françafrique sont légions

Aujourd’hui le  président Macron laisse entendre qu’il va se  servir du rapport Duclert  pour installer de nouvelles relations vis-à vis de l’Afrique en reconnaissant certains crimes passés. Mais les crimes du passé sont légions. Il faudrait des épaules larges à l’instar de celles d’Obélix afin de les endosser tous. Sans évoquer l’esclavage (plusieurs siècles) et la colonisation avec leurs cohortes d’injustices, de massacres et de pillages, la France a une kyrielle de péchés mortelles à se faire absoudre. Plus près de nous, concernant ses transgressions contre ses anciennes colonies d’Afrique, la France semble avoir une mémoire sélective. C’est bien de confesser la déstabilisation de la Libye, le génocide rwandais, mais quid des innombrables affaires de coups d’Etat sanglants organisés par les services de l’Elysée sous l’ère Foccart dans le seul but de préserver le pouvoir de domination politico-stratégique et de spoliation des richesses du sous-sol africain, en plus de l’imposition de la zone franc ?   

En septembre 1958, Ahmed Sékou Touré dit NON à la Communauté franco-africaine, tout en proposant de rester membre de la zone franc. Le Général De Gaulle ne l’entendit pas de cette oreille. Lui qui avait dit que ceux qui veulent l’Indépendance, la prennent avec toutes ses conséquences, balaye du revers de la main la demande de la Guinée de rester membre de la zone CFA. Ainsi privée de monnaie, la Guinée sera dans l’obligation d’en créer une. Paris retire ses diplomates en fonction à Conakry et prive la Guinée d’aide budgétaire. La Guinée de Sékou Touré, sans le sou, sera contrainte de se tourner vers le Bloc de l’Est : Moscou, Pékin et Cuba, pour survivre. En 1959, des hommes du SDECE (Service de Documentation Extérieur et de Contre Espionnage) a tenté à maintes reprises de déstabiliser la Guinée et de faire passer le président Sékou Touré de vie à trépas. Si la France n’a pas réussi à éliminer physiquement le président Sékou Touré, on ne peut pas en dire autant de tant d’autres leaders africains contemporains.

Le quotidien l’Humanité a relaté la complicité flagrante de la France en ce qui est de l’assassinat de Thomas Sankara en 1987. L’Elysée adoubera à la tête du Burkina un chef d’Etat plutôt compréhensif et zélé en ce qui concerne les desideratas de l’ancien colonisateur. Blaise Compaoré règnera en maître absolu sur le Burkina Faso jusqu’à son débarquement par le peuple en 2014.

Dans  « Leaders assassinés en Afrique centrale 1958-1961. Entre construction nationale et régulation des relations internationales » (L’Harmattan, 2020), Karine Ramondy relate le destin tragique de quelques éminents indépendantistes d’Afrique centrale, tel Ruben Um Nyobé, abattu d’une balle dans le dos par l’armée française ; tel le Centrafricain Barthélémy Boganda ; tel Félix-Roland Moumié, empoisonné en Suisse… Dans son ouvrage, la chercheuse Karine Ramondy tente une explication : ce fut «un moment d’accélération de l’Histoire où les puissances coloniales redoutaient de perdre leurs acquis. » Par manque d’impunité, ces crimes se poursuivent encore de nos jours. 

La liste des dirigeants africains « récalcitrants » trucidés par la cellule africaine de l’Elysée est longue : Olympio ( Togo, 1963) ; Ratsimandrava (Madagascar, 1975) ; Tombalbaye (Tchad, 1976) ; Ngouabi (Congo, 1977) ; Sankara (Burkina, 1987) ; Boudiaf (Algérie, 1992) ; Ndadaye (Burundi, 1993) ; Ntaryamira (Burundi, 1993) ; Habyarimana (Rwanda, 1994) ; Baré-Maïnassara (Niger, 1999) ; Kabila (Congo, 2001) ; Khadafi (Libye, 2011), etc. Dernier en date, l’assassinat d’Idriss Déby , dictateur tchadien, en avril dernier, serait l’œuvre de la France : les enquêtes sont en cours. Les historiens, les chercheurs, ne manqueront pas de dévoiler au grand jour les dessous cachés de cette affaire. 

Ne fais pas à autrui…

  Ailleurs, sur le Continent africain, l’armée française ignore le mot Démocratie. Elle copine avec les dictatures de tout poil. Le dictateur tchadien qui vient d’occire a martyrisé sa population depuis 30 ans sous l’œil bienveillant de l’armée française. Idriss Déby a été porté au pouvoir par l’armée française en 1990. Il a toujours pu compter sur les différents gouvernements de la France. Par trois fois, des colonnes de rebelles jaillissant de Libye et déferlant sur N’Djamena ont été stoppées à l’entrée de la capitale tchadienne par des mirages français.   

Fin avril 2021, une vingtaine de généraux français à la retraite dénonçaient dans une tribune parue dans « Valeurs actuelles » le « délitement » de la France. 8000 soldats avaient signé cette tribune qui suggérait que l’armée pourrait passer à l’action, si aucune mesure n’est prise par le gouvernement pour mettre le pays sur les bons rails. Dans Le Parisien du 29 avril, le chef d’Etat major, le général Lecointre, répond à propos de la démarche des généraux à la retraite : « Je me suis d’abord dit qu’elle ne présentait pas grand intérêt et ensuite que ses auteurs savaient très bien qu’ils prenaient un parti pris politique. Cela, je ne peux l’accepter, car la neutralité des armées est essentielle. Enfin, j’ai été choqué d’y lire un appel à l’armée d’active : ça me révulse absolument… Quand on connaît l’armée française, engagée au combat dans la défense de notre pays et de ses valeurs démocratiques, c’est absurde ». Vous avez dit : « valeurs démocratiques ? » L’armée française s’est peu souciée de ces valeurs-là, lorsqu’en janvier 1963, un des ses officiers, sur ordre de Paris, tira sur le président démocratiquement élu de la République du Togo, Sylvanus Olympio. Plus près de nous, le 22 avril 2021, lors des funérailles du président tchadien, Idriss Déby, l’Armée française et son chef devant la Constitution, Emmanuel Macron, étaient là pour apporter soutien à Mahamat Déby, fils du maréchal- dictateur tchadien décédé.

 En définitive, les généraux risquent la radiation, donc la mise à la retraite d’office. Mais quelques jours après la publication de la première tribune parue dans « Valeurs actuelles », le même hebdomadaire publie le dimanche 9 mai une autre tribune titrée : « La survie de notre pays ». Elle est signée par deux mille militaires actifs et adressée au président de la République, aux ministres, aux parlementaires et aux officiers généraux. Cette deuxième tribune tend à  prouver la détermination de la gent militaire de ne pas se laisser impressionner par les cris d’orfraie d’une majeure partie de la classe politique. Nul pays n’est à l’abri d’un mécontentement de la Grande Muette. Quel que soit l’ancrage de la démocratie dans beaucoup de pays occidentaux, le militaire peut un beau jour se lever, se rebeller en prétextant vouloir mettre de l’ordre dans la chienlit orchestrée par les politiques. Qui tue par l’épée meurt par l’épée. La France des caciques de la politique africaine, à force d’encourager les putschs militaires et autres hold-up électoraux dans les anciennes colonies noires, risque-t-elle un beau matin de voir sa Constitution suspendue, l’Assemblée nationale et le Sénat dissouts, et le président de la République française prisonnier d’une junte ?    

G. TETE

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